mardi 21 mai 2013

Random Access Memories ou comment passer de Homework à patchwork?!


C'était couru d'avance. Random Access Memories portait déjà en soi, dans ce concept originel de vouloir revisiter le passé et de créer un pont musical entre 2013 et l'âge d'or de la pop-rock des années 70-80, les germes qui en font un album tristement raté. D'autant plus que le concept était risqué et paradoxal de la part d'un groupe dont on attendait au contraire qu'il redéfinisse le son du futur et non pas qu'il nous resserve un ersatz de quelque chose d'aujourd'hui disparu, dont on avait fait notre deuil avec tristesse et lucidité mais duquel on se souvenait pour l'avoir maintes fois gouté, dévoré, souvent avec délice et parfois de manière irraisonnée jusqu'à s'en faire mal au bide. A ce titre, RAM sonne d'ailleurs un peu comme un aveu de faiblesse, leurs auteurs tendant à nous dire implicitement: nous se somme pas (ou plus) capables d'innover, aussi nous allons aller chercher dans le passé pour tenter de le faire! A l'écoute des faits, un tour de passe-passe visiblement plus facile à dire qu'à faire...

Mais les Daft Punk, sans doute un peu trop vite portés au pinacle depuis leur premier album Homework (1997), ont cru sincèrement, avec toute la démesure de leurs moyens et la mégalomanie qui leur sied depuis Discovery (2001), qu'ils étaient, en dehors de toute légitimité, les seuls à pouvoir créer ce pont, les seuls à porter cette ambition là où tous les autres semblaient s'être résignés.

"En terme de contenu, la musique actuelle manque d'ambition créative"!
http://www.lefigaro.fr/musique/2013/05/03/03006-20130503ARTFIG00588-daft-punk-la-musique-actuelle-manque-d-ambition.php

Pourtant, avec cette débauche de moyens, le marketing jusqu'alors inégalé pour la sortie d'un album et la déferlante médiatique qui allait suivre, nos petits parisiens n'avaient pas le droit à l'erreur. Ils le savaient et pour ce faire, les Daft ont donc pris leur temps (8 ans) depuis l'échec critique de leur troisième opus Humain After All. Ils ont voulu blinder l'affaire et nous ont invité une ribambelle de références (certains y voient là du génie, mais en quoi cette accumulation de featurings tient-elle du génie?) qu'elles soient funk (Nile Rodgers), disco (Giorgio Moroder) ou pop-rock (Paul Williams, Julien Casablanca) etc... Histoire à coup sûr, en conjuguant les talents de cette dream team triée sur le volet, de réussir le pari fou qu'ils s'étaient fixés, quoique bien trop grand pour leurs frêles épaules. Pari fou mais pari perdu car s'approprier des icônes rock ne suffit pas à s'approprier l'esprit et la quintessence d'une époque.

Ceci dit, le jeu en aurait effectivement valu la chandelle! Vous imaginez?! Les Daft Punk, en 2013, capables à eux seuls de nous ressortir un album d'anthologie, comme un vieux Fleetwood Mac ou un Jackson de la très grande époque, inédits, mais dont on aurait retrouvé les pistes, comme par miracle au fond d'un vieux studio poussiéreux?!

Après tout, pourquoi pas? En 1980, Utopia avait bien réussi, eux, à nous ressortir un album inédit des Beatles, Deface The Music! "Revisiter la musique" nous disait déjà Todd Rundgreen?!


Problème, les bons inédits, ça n'existe pas! Parce que sinon, ça fait belle lurette qu'on nous les auraient ressortis! Et pourtant même si on le savait déjà, on avait envie d'y croire, nous à cette histoire...

Sauf qu'à tout miser sur la démonstration technique et sonore (3 micros pour enregistrer Giorgio mais qui verra la différence? 50 masters pour ne retenir au final que le premier!), les Daft ont oublié l'essentiel: les compositions et le fil indéfinissable, magique, quasi mystique qui font les grands albums, ceux qui s'écoutent de la première à la dernière seconde sans jamais avoir l'envie de passer sur un morceau mais au contraire de revenir irrésistiblement en arrière! 

Trop ambitieux, trop référencé, trop d'invités, l'album part inévitablement dans tous les sens et s'écoute difficilement dans toute sa longueur sans sourciller de la paupière à un moment ou à un autre. Au mieux, le ridicule n'est jamais loin, au pire, il est souvent dépassé (avec crise de fou rire en ligne de mire) et ce dès l'entrée du vocoder très cheap qui suit l'intro grandiloquente et pompeuse de Give Life back To Music. Dès lors, difficile de se détacher de cette première impression qui vous colle aux tympans, celle d'avoir déjà entendu ça, en bien meilleur, dans une autre vie, dans un autre album, et qui nous est ici réingurgité d'un seul bloc et dans un mixage d'influences plus ou moins digestes: c'est le vocoder trop "Buggles" de The Game Of Love et qui sature la plupart des plages de l'album, ce sont les faux airs de La Croisère s'amuse sur Touch en passant par les claviers de Giorgio Moroder et ses relents de Midnight Express.

Du coup, c'est comme un quasi soulagement qu'on espérait plus quand cette logorhée digitale se termine enfin avec ce sentiment héroïque d'avoir tenu bon jusqu'au bout alors qu'on mordait d'envie d'éteindre la platine depuis 10 minutes! Mais on s'est accroché et on n'est pas peu fier. Ce qui nous autorise à le dire même si le monde entier nous crie le contraire (quoique) RAM est un bad trip temporel, un mauvais voyage qui vous donne le sentiment de gâcher vos vieux souvenirs! Non, ce n'est pas possible, la funk suintante des années 70 qui vous faisait décoller le cul de votre canapé en skaï, le rock progressif vénéneux qui vous replongeait irrémédiablement dans vos fantasmes adulescents, j'ai pas rêvé, c'était quand même mieux que ça? Et cette question qui pointe immédiatement le bout de son nez comme une évidence: quel intérêt d'avoir refait (en moins bien) ce qui a déjà était fait il y a 30 ou 40 ans?

Ce serait d'ailleurs bien que quelqu'un leur dise "Eh les gars, ok pour le sampling, ça, vous gérez. Mais de grâce, lâchez l'affaire niveau songwriting parce que là vous maitrisez que dalle! Non, pas évident de tenir la longueur, ne serait-ce que 3 minutes quand depuis 20 piges on a toujours fait des tracks qu'avec 10 secondes! Les Daft Punk savent jouer avec des boucles ou des boites à rythmes mais mettez leur une batterie dans les mains et ça tourne au carnage! HAA avait déjà fait tomber une partie du voile mais RAM a fait tomber les casques! Alors quand nos frenchies commencent à se prendre pour les Pink Floyd ou Michael, on se dit "Merde! ça été trop loin tout ce ramdam!" Mais qui va aller leur dire?


Evidemment, le fan absolu ou l'auditeur complaisant finira par trouver dans cet album à force de l'écouter mille fois, mille fausses raisons de le défendre et de l'apprécier comme on finit par aimer la mauvaise piquette tant on s'y est habitué. C'est le très fade Get Lucky, à la guitare mollassone qui à la longue, finit par emporter le morceau et vous fait oublier votre première impression ("Mouais, tout ça pour ça?"). C'est vrai, ça fait le job et pourtant à la place, on se remettrait bien quand même A night To Remember de Shalamar, histoire de comparer... la funk et le funky! Mais est-ce bien raisonnable?



Car ne nous y trompons pas! RAM nous délivre un constat implacable: n'est pas Quincy Jones qui veut! Les maîtres du sampling, du copier-coller peuvent bien lorgner sur Thriller, sur sa pochette, sur cette idée de réunir tous les talents du monde sur une seule galette, on ne s'improvise pas d'un coup de baguette, producteurs et chef d'orchestres, avec la prétention démesurée de résumer en 74 minutes (la durée d'un CD), 40 ans de la mémoire collective... surtout quand on sort à peine de son home-studio. Non, il ne suffit pas de convier Nile Rodgers et sa guitare (celle qui jouait sur Diana) pour nous pondre un chef-d'oeuvre. Ce serait trop facile et quelque part, ce n'est que justice...



Les 50 masters de RAM, ça ne vous rappelle rien?

Comme si ils n'avaient su quoi faire de tous ces moyens, comme si ils avaient voulu placer la barre (beaucoup) trop haut, les Daft Punk ont donc fini par rater leur cible. RAM n'est qu'un patchwork mal dégrossi, décousu, de qui a déjà été fait en bien mieux par leurs illustres prédécesseurs. Pire encore, en leur temps par ceux qu'ils ont invité pour cet album monstrueux d'égo. Ainsi, à aucun moment, Giorgio by Moroder ne saurait rivaliser avec The Chase. Et c'est bien normal, il y a bien longtemps que ce bon vieux Giorgio a donné le meilleur de lui-même...


"Des trucs des Beatles aussi"?
http://www.metrofrance.com/culture/sortie-de-random-access-memories-daft-punk-on-peut-encore-faire-de-grands-disques/mmes!luiPxmQcsZj9U/

Allez, on vous l'accorde, tout n'est peut-être pas complètement à jeter dans ce naufrage temporel: il y a bien quelques rares passages ici et là...  dommage qu'ils soient trop courts! Et finalement, seul Doin't It Right, arrive à sortir totalement son épingle du jeu et ce tout simplement parce que d'un coup, un seul, il nous a ramené en 2013, ne se contentant plus seulement d'imiter mais à l'inverse de fusionner les genres, le passé et le présent en un tout, en un temps irrésistible... Voilà ce qu'on aurait aimé davantage: fusionner totalement et que la machine à remonter dans le temps fonctionne vraiment! Malheureusement, les Daft Punk sont montés seuls dans cette machine et nous ont laissé à quai, partant en quête d'un passé révolu et qu'ils n'ont d'ailleurs pas su retrouver.

De fait, à moins qu'on ait pas plus de 25 ans et qu'on ne puisse comparer (auquel cas on trouvera ça formidable), le seul compliment qu'on pourrait faire à RAM, c'est qu'il donne l'envie immédiate de se réécouter quelques vieux vinyls, quelques grands albums de ceux de la trempe de Rumours dont semblait vouloir s'inspirer Bangalter et Guy-Man.

Et il y a fort à parier que dans 1000 ans, quand un historien voudra se pencher sur cette période, c'est pas RAM mais un album de ce genre-là qu'il choisira...

Histoire de le faire pour de bon ce voyage!


LE RAPPORTEUR.